be a man. « Putain, fais pas ta fiotte Paco. » Ça te fait à peine tiquer, t’y es habitué. Il le sait pas, que t’es pédé. T’as su très tôt que tu te tairais, que tu n’lui dirais jamais. Tu l’as su le jour où il t’a fait remarquer que « t’es coiffé comme la tapette dans Grease », et que « les tapettes, ils devraient se faire soigner ». Tu l’as su le jour où il s’est moqué de toi et d'un camarade de classe, parce que « bordel, on dirait deux tantouzes. T’es quand même pas amoureux Paco ? » T’as failli le frapper, mais t’as jugé qu’une telle réaction te cramerait pour l’éternité. T’es pas le genre de débile qui tape parce qu’il est vexé qu’on l’ait traité de pédé, alors il aurait vite compris que si tu veux lui faire mal, c’est pour l’autre raison. Parce que si, justement. Du coup, tu t’es contenté de l’ignorer. Mais il continue de te titiller, de te provoquer, comme si le sexe de la personne que tu aimes était capable de déterminer ton taux de courage. Toi tu sais que c’est pas le cas, que t’es pas un dégonflé. C’est juste que tu réfléchis plus que les autres, et que tu penses aux conséquences avant de t’embarquer dans un plan foireux qui pourrait te pourrir la vie. Quand lui te dis ‘médicament’ et ‘vendre’, il voit des billets sur la table. Quand lui te dis ‘médicament’ et ‘vendre’, tu te visualises assis sur une chaise avec des ongles en moins, des câbles électriques reliés aux couilles de ton cousin. T’aimerais penser moins, être plus spontané. T’aimerais te foutre des coûts et ne voir que les avantages. T’aimerais prendre plus de risques, agir sous l’impulsion. Comme ton cousin. Tu ne sais pas bien si être prudent équivaut à ‘être une fiotte’, au fond tu sais bien que la testostérone n’a rien avoir là-dedans. Mais tu ne peux pas t’empêcher de l'envier, lui qui saute dans le vide sans filet de sécurité. Il a raison, t'es sans doute qu'un peureux qui se cache derrière le prétexte de la prudence. Alors pour une fois tu vas t'élancer toi aussi, la tête la première. Tu vas faire des trucs moches pour lui prouver qu'il peut compter sur toi.

fucking weirdo. « J'ai entendu dire que tu pouvais me refiler quelques trucs, pour planer, enfin pas la peine de t'faire un dessin, tu vois ? » Tu renifles ton sirop à la menthe en faisant rouler tes deux billes marrons sur l’inconnu. Taille moyenne, brun, yeux verts, voix grave, lèvres entrouvertes, canine chevauchant l’incisive –bordel c’est ton kiff ça-, gaulé comme un athlète grec, visiblement con comme un balai à en juger son regard vide : tout à fait ton genre. T’es amoureux putain, t’as même le cœur qui s’emballe et tu t’demandes s’il va pas te provoquer une crise de panique à force d’étirer son sourire pour concurrencer les mannequins de pub pour dentifrice. Faut que tu passes en mode offensif là Paco, bouge-toi la nouille mec. Celui-là tu l’laisses pas passer en lui récitant quelques lignes de poème apprises par cœur d’un livre audio. « La banquise a perdu 40% de son épaisseur en 40 ans, c’est flippant non ? » Ouais super, c’était brillant ça. T’as juste envie d’arracher la ceinture gucci de la grosse qui se trémousse contre un palmier pour la suspendre à la gouttière. La ceinture, pas la grosse, pour te pendre. « J’comprends mieux pourquoi on t’appelles Paco le zarbi. C’est mignon. » Le zarbi. Mignon. Toi tu retiens que le second mot, et tu souris comme une adolescente pré pubère à qui on vient de dire qu’elle a des seins agréables à tripoter. Ça te donne des ailes, encore plus efficace que le Red Bull. « Stilnex, rohypnol, vallium ? » T’essaies de t’rattraper en causant comme un pro. « Par contre c’est un peu la merde en c’moment niveau fric, j’ai déjà dépensé les biftons du mois en m’achetant une bécane. Les priorités quoi. » Ouais tu comprends tout à fait, pauvre garçon. « Tu peux m’filer ton t-shirt peut-être ? » Tu sais pas pourquoi t'as dit ce truc flippant, en fait ça sonnait vachement mieux dans ta tête. « Tu veux pas mon slibard non plus ? C’est quand même plus imprégné pour renifler entre les draps. » « Oh … » Et là t’as tout oublié : le type, sa requête, ta gaule. Tu t’accroupis pour éviter d’effrayer la bête, totalement captivé par ses grands yeux clairs. « Eh minou, minou, psttt. » Tu tends tes doigts près de la jambe de ton client, esquissant le sourire béat du mec invité à un dîner d’cons. « Moi qui croyais qu’t’aimais pas les minous. » Tu ne captes pas qu’il fait une association entre le matou et les gonzesses, non en fait tu sembles tout étonné qu’on puisse penser une chose pareille de toi, toi le membre le plus assidus de trente millions d’amis. Ça te fait même te redresser légèrement alors que le félin vient se caresser au dos de ta main. « Tu déconnes ? J’adore ça, j’en ai deux chez moi. Y’en a un qui a une patte cassée et l’autre un œil qui part complètement en couille le pauvre, il a dû s’prendre la pâtée. Le comble pour un chat. » Tu lâches un rire bruyant en perdant l’équilibre, te rattrapant à la jambe du type. « Pâtée, chat, tu piges ? » T'es lancé, ça y est, impossible de t'arrêter. « D’ailleurs t’as vu le site porno pour chats qu’à ouvert cette américaine, un peu glauque quand même je trouve. Je devrais peut-être tester un jour pour voir comment ils réagissent, m’enfin c’est pas non plus comme si … » La jambe du brun t’échappe des mains tandis qu’il s’éloigne en marmonnant un truc à propos d’un ‘débile’, et de ‘péter les dents’. Alors t’affiches un air de chiot battu en te mordillant la lèvre parce que t’es déçu quand même, qu’il te brise le cœur comme ça. « Tu veux pas ton médoc ? » Tentative désespérée mais vaine de lui faire rebrousser chemin. Enfin au moins, tu t’es fait un nouveau pote.