J’avance d’une démarche un peu trop négligée vers la salle de sport. En fait, j’ai rendez-vous depuis quelques jours avec Owen mais c’est seulement hier que je me suis rendu compte qu’on allait devoir mouiller le maillot, soulever des poids, se faire du muscle… A vrai dire c’est surtout pour l’oreille d’Owen que je fais le déplacement, la flemme n’aura pas raison de mon envie de me parler. Jamais je l’avouerais à haute voix mais  parler ça fait du bien – et tout le monde le sait. J’ai un petit sac de sport qui contient de l’eau, une serviette et des clopes, il se balance un peu dans les airs, au rythme ralenti de mes pas. Je finis par lancer un  coup d’œil rapide à ma montre puis je me souviens que je ne sais pas lire l’heure et soupire. Non non, j’ai pas la montre juste pour faire beau, je me suis promis d’apprendre à lire l’heure mais à chaque fois j’ai eu la flemme.

Enfin j’arrive dans le bâtiment, il y a des affiches de sportifs arrosés de sueur accrochées un peu partout, ça me met mal à l’aise, ils passent une rapide musique de fond entrainante et je plisse les yeux pour tenter de retrouver Owen – sachant qu’il est forcément déjà là. Il est ponctuel le type, j’aimerais bien l’être, ça m’aurait évité pas mal d’ennuis. Je le trouve vite et m’avance vers lui. «  Salut Cesare ! » Tapote amicale dans le dos, un peu trop vive de ma part, je me dépêche de mettre un peu d’écart entre nous. Faut me comprendre aussi je risque d’avoir l’air d’un chihuahua à côté de ce tas de muscles. « Comment ça va ? » Je pause lentement mon sac par terre avant de déglutir. « Ouais ça va… » (pas vraiment). (ça va pas du tout en fait). Je lui réponds comme si je porte humblement et malgré moi la terre entière sur mes épaules, c’est l’impression que j’ai des fois. Et j'm'en veux un peu de me sentir comme ça parce que c'est totalement injustifié. En plus je vais pas l'emmerder avec mes histoires d'étudiant sans queues ni têtes. « Alors on commence par quoi ? »

« Tu es sûr que ça va ? » Je ris légèrement dans ma barbe (que je n’ai pas) pour essayer de régulariser les battements de mon cœur. Je panique un peu. Finalement j’ai plus autant envie de parler, de raconter ma vie et tout, ça sera une prochaine fois. C’est pas que j’ai peur mais bon, et puis je sais pas trop comment il risque de prendre les choses qui m’arrivent, je sais déjà pas comment les prendre moi-même. J’essaye de ne pas croiser son regard mais je sens malgré tout ses yeux peser sur moi d’un air interrogateur donc je me décide à ouvrir la bouche. « Je t’assure ça va, je suis pas vraiment dans mes meilleurs jours mais il y a rien d’alarmant. » Je le gratifie de mon plus beau des faux sourires et l’écoute m’indiquer qu’on peut commencer par les haltères. C’est pas trop mon truc, j’aurais préféré… En fait rien n’est vraiment ma tasse de thé ici, je déglutis, commence à refroidir. Ma conscience me souffle des messages d’encouragement, heureusement que je l’ai encore.

Je m’approche avec un peu trop de confiance vers les haltères simples, prend la plus grande, arrive à peine à la faire décoller, la repose. C’est déjà bien parti. Doucement je tourne la tête vers mon coach, il est dans son milieu naturel lui, il est loin d’avoir les mêmes préoccupations que moi. « Les haltères simples c’est mieux, j’ai pas très envie de me tuer » J’exagère un peu, mais imaginez que le gros truc là-bas me tombe sur la poitrine, je suis pas sur de pouvoir tenir le coup donc mieux vaut éviter le drame. Je lis les poids de chacun avant d’en prendre un qui m’a l’air prenable. Pas trop léger, pas trop lourd puis me tourne encore vers Owen en attendant ses indications. « Sinon toi ça va ? » C’est un peu un grand-frère pour moi et il n’est pas du genre à me parler de ses problèmes, c’est plutôt moi qui lui parle des miens, mais bon, on sait jamais et puis on va quand même pas rester là sans rien dire.

 « Vu que je serais là pour empêcher que la barre te tombe sur la poitrine il n'y a pas trop de risques pour que tu meures, mais il vaut quand même mieux que tu commences avec les haltères simples oui. » J'hoche lentement la tête. Je vois qu’il prend ses précautions pour ne pas me frustrer en me faisant comprendre que je ne suis pas trop dans mon milieu et qu’il faut faire attention. De toute façon aucune frustration ne serait capable de m’atteindre car je suis parfaitement conscient de la situation. Au contraire je trouve ça un peu soulant qu’il se retienne de rire, j’aime bien entendre les gens rire et puis si j’étais à sa place je me serais pas retenu. Il prend aussi des haltères, elles sont plus lourdes que les miennes mais je m’attendais à plus de sa part. J’veux dire, vous avez vu ce tas de muscle ? Peut-être que c’est encore juste une manœuvre pour ne pas me mettre mal à l’aise. J’espère pas. « Mieux vaut ne pas tenter le diable », lui dis-je en rigolant. Le fait qu’il essaye de ne pas me mettre mal à l’aise me met mal à l’aise justement. Je respire un grand coup pour pouvoir arrêter de penser et commence à soulever mes haltères avec beaucoup de concentration. C’est pas très compliqué, je veux déjà passer à plus lourd. Je les fais monter de haut en bas et je contemple mes muscles se tendre et se détendre. « Mes muscles », je dirais plutôt ma chair… Owen peut parler de muscles, même de viande, moi je suis même pas certain d’avoir des os.

« Moi ça va bien, je n'ai pas envie que la saison de hockey se finisse, comme toujours, mais je ne peux pas y faire grand-chose » Le hockey non plus j’y connais pas grand-chose, c’est à peine si je suis les matchs. C’est pas le genre de choses qui m’intéressent mais c’est carrément le truc d’Owen alors je ne peux que l’encourager. Mes bras commencent à me faire mal, mais comme mon coach continue, je fais de même sans me plaindre. « C’est vrai que tu peux pas y faire grand-chose à part prendre ton mal en patience et attendre la prochaine saison » lui dis-je gentiment, avec un vrai sourire. J’aime secrètement beaucoup voir des gens développer leur passion, comme Flynn qui dessine une femme sans visage, comme Owen qui n’a pas envie que la saison prenne fin. « Tu comptes faire quoi pour passer le temps quand la saison finira ? »  Je continue mes mouvements avec les haltères, essayant de maintenir la discussion pour me distraire, mais la douleur se fait de plus en plus sentir. « Hé dis-moi c’est quand qu’on arrête ? »

La salle de musculation, ce n'était pas trop mon endroit de prédilection, mais j'avais un sujet de journalisme là-dessus. Je décidai donc de m'y rendre tentant de passer incognito en mettant une tenue de sport. Je me sentais particulièrement heureuse aujourd'hui. En fait, je l'étais tout le temps, ne me laissant abattre par rien. Par contre, lorsque j'arrivai, il y avait déjà deux mecs présents dans la salle. Ils n'avaient pas l'air très enchantés, du moins un en particulier. Je trouvais triste et dommage. J'étais une fille impulsive dans mon genre. Je me dirigeai donc vers eux. « Salut les mecs! » dis-je avec un sourire avant de leur faire un câlin à tous les deux. « Passez une belle journée! » ajoutais-je, toujours avec un sourire avant de repartir sans demander mon reste. Il y avait des jours comme ça où on aurait dit que j'avais pris de la drogue. Mais non.... C'était loin d'être le cas. Je souhaitais simplement faire le bonheur des autres, même si c'était en faisant le clown.

Je souris faiblement quand il me dit qu’il n’y a vraiment pas de danger car je sais qu’il y en a quelques uns. Je n’ai jamais été très salle de sport et je ne me sens pas capable de remettre la barre sur les taquets, il me faudrait donc la compagnie d’une personne à qui je ferais infiniment confiance et je ne pense pas que la confiance infinie existe. Il est clair que la vie d’Owen est axée sur le sport, il passe son temps en salle et sur le terrain, il n’a pas l’air intéressé par quoique ce soit d’autre, contrairement à moi qui passe du temps à la radio et au centre des arts. « M’entraîner comme tout le temps, voir ma famille et mes amis. » C’est bien ce que je disais. Ça me fait encore plus sourire. Owen est une personne si simple, je l’admire presque. Je continue de subir la douleur des haltères quand mon coach intervient enfin. « Tu n'as pas à me demander Cesare, tu arrêtes quand tu veux, il ne faut pas que tu attendes que moi je finisse, surtout je ne peux pas savoir quand ça commence à te faire mal. N'étant pas habitué à ce genre d'effort tu ne peux pas te calquer sur ce que je fais vu que je soulève des poids pratiquement tous les jours. » J’étais tellement persuadé que je devais attendre ses indications que son ton me surprend un peu. Je pose les haltères par terre, calmement, et il fait de même. Je regarde sa pomme d’Adam danser alors qu’il boit de l’eau tandis que moi je n’ai pas très soif.

« Peut-être que tu devrais faire du rameur, ça fait travailler les bras et les jambes sans que ce soit trop dur physiquement. » Il y a tellement d’appareils ici, jamais j’aurais cru utiliser l’un d’entre eux. Je m’apprête à lui demander ce que c’est qu’un rameur mais une blonde fait son entrée, je fronce automatiquement les sourcils, n’appréciant pas être dérangé. J’entreprends de détourner mon attention d’elle mais elle se dirige droit vers nous, décidément. « Salut les mecs. » Elle sourit, elle est belle mais dérangeante, quel dommage. J’aurais mieux aimé la croiser dans d’autres circonstances. « Passez une belle journée ! » Par respect pour Owen je range mon instinct de dragueur et la laisse partir sans réagir. « C’est quoi un rameur ? » Que je demande à mon coach, ne cherchant pas à accorder plus d’importance à notre élément perturbateur.

Mon nouveau coach officiel regarde la blonde s’en aller et je les observe en silence, attendant une réponse. Pour les haltères, je me disais que c’était un peu normal d’avoir mal au bras en les soulevant, j’ai l’habitude de me faire mal dans la plupart de mes activités, dans TOUTES mes activités d’ailleurs, mais bon, je mets ça un peu sur le compte de ma maladresse maladive. En plus la douleur m’était encore supportable – dans le cas contraire je les aurais toute de suite lâchées. Pourtant les mots d’Owen me parviennent comme un rappel à l’ordre et ça me gêne un peu d’entendre que je ne peux pas me calquer sur ce qu’il fait. J’avais cru qu’il irait à mon rythme.

J’ai assez de mal à tenir ma réputation de « mauvais garçon » avec Owen, j’ai l’impression que je me dois de le respecter et j’avoue que rares sont les personnes que je respecte. C’est un peu agaçant parce que je me sens petit à côté de lui (et il y a de quoi). Je pense que j’aurais pas plus d’assurance qu’un chihuahua enragé si j’osais l’affronter ou le prendre de haut, je crois même qu’il peut me tuer d’un simple geste mais je vais pas chercher à vérifier cette thèse, de toute façon il n’oserait pas. « Cette machine là. » Le tas de muscle se met à côté de ce qui se trouve être un rameur. « Tu veux que je te montre comment ça fonctionne avant ? » Je lui fais non de la tête en souriant légèrement. Ça m’a l’air relativement simple. « J’me pose là, j’mets mes pieds comme ça et j’tire sur ce machin, c’est bien ça ? » Que je lui demande en prenant place. Logiquement je dois être bien installé, je commence donc à "ramer" sans plus attendre. « Alors, côté-cœur, notre Hulk a trouvé chaussure à son pied ? » J’ai jamais été très doué avec les expressions populaires, je savais même pas si ma dernière phrase était correcte. Et puis je ne crois pas en l’amour, mais assimiler son « âme-sœur » comme ils disent, avec une chaussure, c’est assez tiré par les poils du nez j’avoue.