« Au revoir ». Aussitôt la jeune étudiante a-t-elle franchi la porte, que le sourire du jeune professeur disparait. Il se laisse lourdement tomber sur son siège. Exténué. Sawyer est exténué de ces heures de cours. De ces cours en eux-mêmes. Il est exténué de cette routine. Cette routine interminable. C’est infernal. Infernal mais pourtant il aime ce qu’il fait. Il aime rester debout tard le soir à feuilleter des bouquins. A chercher quelque chose d’intéressant à faire découvrir à ses étudiants. Quelque chose à donner. Quelque chose à partager. Tranquillement, il range ses affaires et une photo glisse de son bouquin. Une vieille photo de famille. Une photo qu’il avait oubliée. Une photo qu’il a sûrement dû glisser dans ce livre pour qu’elle se perde à jamais. Une vision du passé. Sawyer regarde longtemps la photo. Peut-être un peu trop longtemps. Il les regarde tour à tour, ces visages. Et il se rappelle d’elle tout d’abord.
Maman la fleur. Parce qu’elle était jolie maman. Une jolie fleur. Avec ses longs cheveux noirs et ses yeux noisette. Elle avait toujours ce sourire. Un sourire aimant, qui couvait telle une caresse. Et Sawyer, il l’a aimée cette maman là. Il a aimé les caresses. Les mots doux. Les histoires avant d’aller se coucher. Il a aimé tout ça. Mais maman c’est une fleur. Les fleurs finissent toujours par se faner ou par s'envoler. Maman, elle, c'est la fleur qui a fini par s’envoler. Elle s’est laissée emportée au gré du vent, sans prévenir. Il ne savait pas Sawyer. Il a attendu longtemps, trop longtemps avant de se rendre compte que la fleur n’allait pas revenir. Et il ne lui a jamais pardonné à maman. Maman la fleur, maman la lâche. Il a grandi et il l’a détesté. Pourtant il a espéré. Il a espéré sentir à nouveau les caresses, entendre les mots doux. Mais maman la lâche, elle n’était plus uniquement sa maman à lui. Elle était aussi
leur maman à eux, aux autres. A ceux qui les entendaient, les mots douxs. Ceux qui désormais sentaient les caresses. Sawyer, il la déteste
maman la fleur.
Ensuite il y a papa.
Papa le rêveur. Papa c’est un peu celui qui sourit toujours même quand il n’en a pas le cœur. Celui qui préfère plutôt rire que pleurer. Celui qui trouve toujours le bon mot. Papa c’est un peu un rayon de soleil. Et pourtant, ce rayon de soleil a fini par perdre sa fleur. Il a aimé. Il a trop aimé. Il s'est trop donné. Et finalement il en a souffert. Elle l’a détruit. Et pour cela aussi, Sawyer la déteste. Maman la fleur. Une jolie fleur. Bien trop jolie. Elle avait vu papa ; elle avait vu ses moyens, sa réussite, sa fortune. Et elle a voulu en profité. Elle a donc créé une histoire, leur histoire. Un mensonge. Une tromperie grotesque. Il s’est fait prendre papa. Il en est tombé mais a su se relever. Du moins, il essaye encore.
« Si tu veux un conseil, les femmes, ne t’y attache pas trop. Elles sont tout les mêmes, jolies, vaniteuses, et intéressées. » lui-dit il souvent. Sawyer l’écoute. Il ne dit rien. Les femmes il les connait bien. Trop bien. Et pourtant, étrangement, elles restent encore un mystère.
Et puis il y a Talya. Talya Risborough. Cette fille.
Une tornade. Sawyer se rappelle de son regard plongé dans le sien. De sa main qui lui caressait délicatement la joue. Il se rappelle de ce visage qu’il avait pris l’habitude de voir depuis quelques temps et dont il ne se lassait pas. Il se rappelle des sourires. De son sourire à elle. Des ses lèvres.
« Tu vas me rendre fou » il lui disait souvent. Et elle, elle souriait toujours. Elle souriait et lui répondait
« c’est pour cela qu’on vit. » Sawyer ne savait pas ce que ça voulait dire. Il ne le sait toujours pas. Mais à ce moment là, il ne cherchait pas vraiment à savoir. Il s’était perdu. Perdu en elle. Complètement et éperdument amoureux de cette femme. De ses yeux. Des ses lèvres. De son être. Son premier amour. Son dernier amour. Un amour à sens unique. Un amour à s’en casser la gueule. Car oui, la chute a été terrible. Elle lui avait parlé d’un enfant. Leur enfant. Eux, ces deux jeunes qui profitaient de leur vie. Une vie bien trop remplie. Une vie dans laquelle un enfant n’avait pas sa place. Sawyer n’en voulait pas de cet enfant. De cette chose qui prendrait beaucoup trop de place. Mais il a dit oui. Oui pour elle. Et oui parce qu’il se rappelle de maman la fleur. Maman la lâche. Il a dit oui. Et il est finalement arrivé cet enfant. L’enfant bombe. Celui qui a fait tout explosé. Talya elle a fuit. Quelques mois après. Talya, cette autre fleur. Cette tornade. Elle a abandonné Sawyer. Elle les abandonné lui et l’enfant bombe.
Et vient cet
enfant bombe. Ce petit être. Cette petite créature aux grands yeux clairs. Nahla. Ses regards. Ses rires. Ses pleurs. Ses calins. Sawyer en vit. Il respire Nahla. Il vit Nahla. Il n’en voulait pas Sawyer. Il ne voulait pas de ce fardeau. Et pourtant c’est le fardeau qui l’a relevé et l'a porté. Quand Talya est partie. Quand la tornade s'est arrêtée mais qu'elle avait déjà causé bien des dégâts sur son passage. Quand il ne restait rien d'autre que le chagrin. Le fardeau l'a porté. Talya est partie et l’a laissé seul avec Nahla. Sawyer se rappelle encore des pleurs pendant la nuit, des nuits blanches, des opportunités manquées, des allés retour chez la voisine. Il se rappelle de tout cela. Mais il n’en regrette pas une minute. Nahla, elle n’est plus l’enfant bombe. Elle est plutôt l’enfant soleil. Son soleil quotidien. Sa bouffée d’air quotidienne depuis six ans maintenant. 52596 heures. 2191 jours. Sawyer n’en regrette pas un seul.